2. La réunion

Publié le par Sylvain

2. La réunion

Kevin feignait de se promener dans la faculté de sciences. En fait marcher lui permettait de mettre de l’ordre dans ses idées. Il y avait encore quelques étudiants désœuvrés comme lui qui passaient le temps en déambulant dans les allées presque vides de l’université Joseph Fourier. Des affiches étaient collées aux murs délabrés, les espaces dédiés à l’affichage n’étaient pas assez nombreux alors on trouvait un peu partout des tracts et des graphes. Devant lui il y avait une phrase faite avec un aérosol qui disait en substance : Pour l’égalité des jeunes face au droit a l’emploi.

C’était les fondements de la lutte anti CPE et Kevin y adhérait complètement, Son père s’était engagé lors de mai 1968. Ils étaient tous les deux socialistes. Il considérait Les manifestations comme une tradition familiale. Aujourd’hui c’était à son tour de battre le pavée. Tout en marchant, il cherchait les slogans comme celui qu’il avait devant lui. A cause de cette grève, il était passé d’étudiant en quatrième année d’électronique à celui de missionnaire d’une cause pour laquelle les gens sortaient dans la rue.

En effet, quand le mouvement avait commencé même les professeurs conseillèrent au élèves d’ y participer et de profiter de ce temps pour se faire un idée du monde. Il rejoignit un parti politique et cela l’avait directement conduit à un petit groupe de gens venus de tous bords pour combattre des dirigeants qui ne s’intéressaient pas à leurs droits.

Son père lui avait inculqué que le langage était une option pacifique et qu’il ne servait a rien de se battre avec ses poings quand on pouvait discuter. Et d’autres idéaux. Mais les manifestations pouvaient virer à l’affrontement quand anti-fa et CRS se faisaient face. Pourtant Kevin voulait croire qu’il était possible de canaliser cette violence. En quelques semaines il était devenu un intermédiaire plutôt efficace et il s’était fait un joli carnet d’adresse.

Il était arrivé au sciences-sociales dans lequel leur association s’était installé après qu’ils aient eu l’aval du doyen de la faculté. Ce bâtiment était situé dans le cœur de la faculté. Désormais il était occupé par les grévistes et ils étaient les seuls à avoir l’autorisation d’y pénétrer. Devant le hall ils avaient dressé des barricades tenues par une fille et un garçon, des gardes-frontières en quelque sorte, il les salua et se rendit directement au deuxième étage.

Dans la salle E202, un groupe d’étudiants discutait. Il y avait toujours un débat ici... peu importe l’heure. Quelques mutins buvant du café et grillant des cigarettes. Derrière l’anarchie qu’ils avaient provoquée, ils prenaient le temps de s’épanouir et essayaient de faire ce ne pouvaient pas faire quand ils étudiaient. Ils recherchaient leur indépendance et pouvaient raconter ce qu’ils avaient au fond du cœur, les yeux dans les yeux.

Ce qui avait été la salle des profs avant était dorénavant réservé aux réunions importantes. Les professeurs l’avaient vidée avant de quitter les lieux, elle était donc beaucoup plus austère que la salle E202. La seule occupante de ces lieux s’appelait Amandine, qui était la secrétaire de l’association. Alain qui avait en charge les réseaux sociaux et tout ce qui concernait l’internet y avait aussi son ordinateur mais il restait dans l’autre salle parce qu’il était troublé par la jeune fille et préférait bavarder de sujets moins intimes.

Michel, Romain, Amandine et Alain l’accueillirent, la conversation cessa et Michel annonça que la réunion pouvait commencer.

Amandine annonça l’ordre du jour: « Le point central est la manifestation de demain. Qui veut de mon idée… sur le parcours Chavant - Dolto ? Dit-elle en hésitant.

- C’est un très bon itinéraire Amandine, dit Romain pour la rassurer.

- Donc si personne n’a d’autre commentaire, la proposition d’Amandine est adoptée à l’unanimité.

- OK attaquons nous aux slogans. Avons-nous des idées pour la banderole en tête du cortège?

-Moi je crois qu’il faut parler du bien commun. Il nous faut trouver quelque chose qui bouscule les bourgeois « bien commun profite à tous! » ou « On a déjà fait la révolution on peut la refaire! »

- Je suis tout à fait opposée à ton idée, dit Amandine. Au lieu de taper sur une classe sociale on devrait trouver un truc qui rassemble tout le cortège comme chanter l’internationale par exemple.

- Et moi j’insiste sur les slogans de mai soixante-huit intervint Alain: « il est interdit d’interdire. Et d’autres! » On leur prouve qu’on n’est pas des sauvages et qu’on a de la mémoire !

La conversation devint un brouhaha et chacun avait du mal à se faire entendre, Michel demanda le silence.

« Ecoutez, je suis d’accord avec vous pour organiser cette manifestation, c’était mon idée et je l’assume. Toutefois c’est la première que l’on organise et c’est un défi difficile. Si on y va comme ça on court droit à la catastrophe. Il nous faut quelque chose qui tienne la route, une phrase bien tangible et que les politiciens puissent comprendre.

Ce fut Kevin qui prit la parole :

On n’a qu’a trouver des lycéens à la place du slogan.

Les autres murmurèrent, tout le monde attendit qu’il continue.

« Par exemple une fille qui n’a pas d’attache mais qui se sente concernée par les enjeux sociétaux. Une belle jeune femme qui représente l’avenir de la France… ni communiste ni fasciste, ni centriste. Peu importe! Même si elle ne comprend pas le pourquoi du comment, on lui expliquera.

-On vote ? demanda Michel.

Trois mains se levèrent pour Kevin, deux contres. C’en était fini de la réunion

Avec tout ce battage on n’aura pas de mal à trouver la bonne candidate, conclut Romain.

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